Dictionnaire du Patois de Luchon : les explications de Claude Haffner (2)
Cette œuvre monumentale représente un véritable trésor patrimonial, fruit d'un labeur acharné s'étendant sur quinze ans. Actuellement en souscription.
{Second volet de l’entretien avec Claude Haffner, à l’origine du Dictionnaire éclairé du Patois de la vallée de Luchon.}
Pourquoi Claude, une école Bernard Sarrieu ?
Cette association a été créée par Maurice Sanson et Pierre Sarrieu (1920-2010), neveu du poète, dit Carrabouy, car les familles Sarrieu sont nombreuses à Saint-Mamet. Le but de cette association est d’œuvrer pour rechercher, rassembler, protéger et mettre en valeur les œuvres de Bernard Sarrieu ainsi que celles de locuteurs du gascon montagnard, notamment toutes celles qui ont été recueillies ou publiées par l’Escôlo déras Pirénéos qu’il avait fondée en 1904.
Les œuvres écrites dans les langues locales seront éditées selon une graphie phonétique qui permet de les prononcer fidèlement.
Tout le monde connait la maison de retraite sise à côté du stade de football. Je sursaute toujours quand j’entends un néo-luchonnais prononcer ‘Éra Caso’ [= la maison], toutes les syllabes étant sur la même intonation et la même longueur avec en plus une accentuation de chaque mot sur la dernière syllabe.
La bonne prononciation est la suivante : le ‘É’ porte l’accent de hauteur et la syllabe ‘ra’ est atone, ensuite la syllabe ‘Ca’ est tonique et la deuxième ‘so’, c’est-à-dire ‘zo’, est atone.
En luchonnais, les syllabes accentuées sont longues et les atones sont brèves. Le dictionnaire a donc une orientation fortement phonétique pour parer au mieux à ce genre de barbarisme, car seul un barbare, au sens de Hérodote, prononce ‘éra caso’ comme décrit ci-dessus.
En 2021 Maurice Sanson, se sachant condamné à court terme par la médecine, m’a demandé d’intégrer l’association qu’il avait fondée et d’en assurer la présidence, ce que j’ai accepté. Il m’a demandé de conduire jusqu’à son terme le projet de la réalisation d’un double CD audio sur lequel on pourra entendre des textes et des chansons inédites (paroles et musique) de Bernard Sarrieu. Nous y travaillons.
Le mot Occitan ne figure pas dans ce dictionnaire, pour quelle raison ?
A mon sens le terme Occitan est l’expression d’un mouvement politique auquel je n’adhère pas. Les langues se sont développées localement car jadis les moyens de communication ne permettaient pas un brassage régulier des populations sur un vaste territoire qui aurait pu fondre les parlers locaux.
Dans le dictionnaire je rappelle que le premier chemin pour se rendre à Cierp-Gaud et sur lequel pouvait passer un char à bœufs, seulement en été, a été construit en 1711 lors de la guerre de succession d’Espagne.
Le caractère politique du mouvement Occitan se constate très bien au Val d’Aran. Grosso modo dans cette vallée il y a trois zones linguistiques qui correspondent peu ou prou aux anciens terçons, la langue n’y est pas uniforme.
Le Val d’Aran se veut être une entité autonome avec une seule langue. Il faut donc au Conseil Général d’Aran, pour administrer et diriger les services publics, un moyen de communication écrit que tout le monde puisse lire et comprendre.
A ce titre l’Institut d’Etudes Aranaises a édité un dictionnaire en 2019 qui normalise la graphie de la langue de la vallée qu’il qualifie de variante occitane. Il reprend la graphie dite occitane qui est utilisée par l’université française pour écrire ladite langue occitane du Sud de la France dans toutes ses variantes dialectales, graphie qui englobe et réduit les différentes prononciations dialectales.
Fatalement, cette graphie ne permet pas de prononcer correctement un mot à une personne qui ne connait pas le dialecte local. Il a fallu la modifier en partie pour l’adapter à la langue ‘officielle’ locale du Val d’Aran.
Par exemple le ‘v’ latin en position initiale se note ‘v’ et se prononce ‘b’, par contre en position intervocalique (entre deux voyelles) il se note ‘u’ car il s’agit d’une semi-consonne et se prononce [w] (que j’écris ‘w’) c’est-à-dire le son ‘ou’ que l’on entend dans le mot français ‘oui’.
Exit la triphtongue ‘yéw’ employée à Bossòst, idem pour le ‘g’ antique rajouté devant l’initiale ‘u’ prononcée [w].
Cette graphie, vous le comprendrez, a causé quelques grincements de dents au Val d’Aran de la part des tenants de ces prononciations.
Le patois de Luchon et de sa vallée est une langue locale, il n’a de sens que pour communiquer oralement entre des personnes d’un même lieu qui se rencontrent dans la rue.
S’il faut communiquer par écrit avec une autre personne qui parle un dialecte éloigné du votre (béarnais, languedocien, auvergnat, etc…), je trouve que le français n’est pas mal du tout, car il est aussi compliqué à écrire que la graphie dite occitane.
Vous avez probablement déjà vu la graphie occitane ‘Luishon’ pour la dénomination patoise de Luchon. Connaissez-vous la raison de la présence du ‘i’ qu’il ne faut surtout pas faire entendre à l’oral ?
Pour ma part je préfère écrire “Lüchů́ŋ”, je pense que cela piègera moins de monde…
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