Dictionnaire du Patois de Luchon : les explications de Claude Haffner (1)
Cette œuvre monumentale représente un véritable trésor patrimonial, fruit d'un labeur acharné s'étendant sur quinze ans.
Comme indiqué récemment le “Dictionnaire éclairé du patois de la vallée de Luchon” est actuellement en souscription ; sa publication devant avoir lieu vers la mi-décembre. Un évènement linguistique patrimonial mené par l’Escôlo Bernát Sarryéw, fruit d’un travail acharné entamé il y a plus de quinze ans par Claude Haffner.
Ce dernier nous en parle. (Premier épisode)
Comment en êtes-vous venu, Claude, à vous lancer dans l'aventure de ce dictionnaire du patois de Luchon ?
L’heure de la retraite s’approchant, étant né à Luchon, j’avais décidé de revenir m’y installer pour des raisons médicales. J’habitais et travaillais à Mirepoix en Ariège, j’y souffrais de fortes crises de sinusite et quand je venais en vacances à Luchon ces maux disparaissaient. Je suis une personne active, mes genoux n’ont plus 20 ans, âge auquel je parcourais les sommets de 3 000 mètres et gravissais de nombreuses voies d’escalade de Luchon jusqu’à l’Ossau en passant par Gavarnie.
A quarante ans mon genou gauche a dit stop.
Je me suis alors investi dans des activités sociales. J’ai participé à la création et à l’animation l’école de musique de Mirepoix, l’orchestre cadet du Pays d’Olmes Mirepoix. Puis je suis devenu président de la Fédération Musicale de l’Ariège, ensuite président de la Fédération des Sociétés Musicales de Midi-Pyrénées et administrateur de la Confédération Musicale de France.
Durant cette période j’ai été élu tout d’abord conseiller municipal, puis je suis devenu maire-adjoint chargé des finances de la commune de Mirepoix. J’ai fait tout cela en parallèle avec mon métier de professeur de construction mécanique, pour lequel j’ai exercé des responsabilités syndicales au plan local, départemental et académique.
Il me fallait donc une activité, non contraignante, pour employer les journées où la météo ne me permettrait pas de m’occuper de mon jardin potager. Dans ma prime jeunesse, ma grand-mère paternelle me faisait réciter des comptines pour enfant en patois de Luchon, que malheureusement j’ai oubliées depuis, sauf une. Mais dès que je suis entré au cours préparatoire elle a arrêté de me parler en patois, car grande lectrice, elle parlait un français soutenu et parfois même suranné.
Jusqu’au début des années 1960 dans les rues de Luchon on entendait souvent parler le patois. Un voisin, Arnaud Favé, en s’adressant à moi me glissait toujours une ou deux expressions en langue luchonnaise.
Comme tous les luchonnais de mon âge j’ai conservé dans ma mémoire quelques mots et expressions du patois local et surtout la nostalgie de cette langue.
Pour moi qui ai une formation musicale, le patois de Luchon étant bien plus chantant que le gascon de la plaine ou le languedocien du Pays d’Olmes, j’avais donc un atout pour me lancer dans l’apprentissage du patois de Luchon. Mais je n’ai trouvé que des méthodes d’apprentissage pour le gascon béarnais et l’aranais, rien sur Luchon.
Bien que ne parlant pas le patois [je ne le parle toujours pas couramment car je n’ai pas acquis les automatismes], j’ai décidé de me lancer dans la rédaction d’un simple lexique de 2 000 ou 3 000 mots que je glanerais par-ci par-là.
Mais comment passe-t-on d’un simple lexique à un dictionnaire de 576 pages ?
J’ai débuté avec les mots que je connaissais et que je croyais être tous de Luchon, ce qui n’était pas le cas, car je m’apercevrais par la suite que certains termes étaient languedociens, arrivés à Luchon avec le développement des transports et ne respectaient pas les canons de la phonétique luchonnaise.
Ensuite j’ai puisé dans le lexique du docteur Blaise Baylac (1911-1998) originaire de Saint-Mamet, puis dans le remarquable relevé toponymique du canton de Bagnères-de-Luchon de Louis Saudinos (1873-1962), s’y sont ajoutés des mots et des expressions relevés par Maurice Sanson (1932-2021), dit Patogas.
Ensuite j’ai récupéré beaucoup de termes dans deux œuvres de Bernard Sarrieu (1875-1935) qui possédaient une traduction : Era Garlando et Piréno, ces deux textes ayant été imprimés chez Sarthe à Luchon.
J’ai effectué des recherches sur internet qui m’ont permis de trouver la “Flore Populaire de Luchon” de Julien Sacaze (1847-1889) relevé de 1888 publié dans la Revue des Pyrénées de 1990.
Puis toujours sur le net, dans la Revue des Langues Romanes de 1902, 1903, 1904 et 1906 j’ai trouvé la publication Le Parler de Bagnères-de-Luchon et de sa vallée’.
La lecture de ce document de près de 600 pages rédigées par Bernard Sarrieu fut une véritable révélation pour moi.
Bernard Sarrieu y traite de la phonétique du patois luchonnais décrivant l’évolution du vocalisme et du consonantisme du latin vers le patois luchonnais en donnant de nombreux exemples.
A partir de ce document j’ai repris tout mon travail précédent et je l’ai adapté à la graphie définie par Bernard Sarrieu dans ce document. Je suis allé même au-delà de ce que permettait la typographie de l’époque ; le titre du dictionnaire en est le condensé.
Enfin ont été intégrés quelques dictons et proverbes fournis par Julienne Tiné épouse Bilot (1930-2019) originaire de Jurvielle. Bien que venue vivre à Luchon, elle n’a jamais cessé de parler la langue de ses parents avec son époux Pierre, originaire de Portet-de-Luchon, ce qui lui a permis d’en conserver une grande maitrise, contrairement à d’autres locuteurs qui ont cessé de parler le patois à la mort de leurs propres parents.
Les enregistrements de la langue parlée par Julienne m’ont permis de vérifier la justesse des éléments de phonétique développés par Bernard Sarrieu.
Sur les conseils de Maurice Sanson, je me suis rendu à l’antenne des Archives Départementales à Saint-Gaudens où j’ai découvert le manuscrit-aide-mémoire de Bernard Sarrieu sur lequel il a noté durant 40 ans ses relevés sur le patois luchonnais.
Ce document de 758 pages au déchiffrage parfois très difficile, voire impossible car le temps a fait son œuvre, m’a demandé de très nombreuses heures de travail et m’a permis d’aboutir au document publié au nom de l’association Escôlo Bernát Sarryéw.
à suivre…