Un siècle derrière, un écran devant
Derrière lui, la façade raconte un siècle d’histoire. Mais ses yeux, happés par l’écran, n’en savent rien. La traversée devient celle d’un monde minuscule.
(Photo © Paul Tian)
Il traverse, absorbé. Non pas par la ville, ni par la façade altière qui se dresse derrière lui comme un château urbain. Non, son regard est ailleurs, rivé à cette petite dalle lumineuse qu’il tient dans la main. Un sportif sans doute : les mollets saillants, l’allure souple, la foulée précise. Mais son véritable effort est invisible. Il défile, il scrolle.
Sous ses pas, le passage piéton trace sa géométrie familière, rappel discret de traversées plus glorieuses. Autrefois, quatre silhouettes y gravaient une légende, guitare en bandoulière et cheveux au vent.
Aujourd’hui, c’est un homme seul, pris dans le souffle des notifications.
Le décor autour de lui respire la mémoire : corniches ouvragées, tourelle de conte, arbres centenaires qui filtrent la lumière d’un ciel d’azur. Mais il n’en sait rien. Ses yeux sont ailleurs, happés par un monde minuscule, réduit à la taille d’un écran.
Le contraste est saisissant : la pierre raconte une histoire, il ne lit qu’un fil d’actualités.
Il ne court pas, il ne marche pas vraiment. Il traverse, en équilibre fragile entre deux mondes. Celui de la ville, qui l’entoure, et celui du pouce, qui l’avale.
Paul Tian
Les écrans deviennent un véritable fléau et dessocialisent (mot barbare mais bien imagé) tous ceux qui y ont le nez collé dessus, qui sont envoûtés et accros comme des drogués !