Tour de France : bienvenue dans l’enfer des réseaux sociaux
Insultes, menaces, harcèlement : la Grande Boucle est devenue un défouloir numérique.
Il y a un nouveau sport à la mode, bien plus répandu que le vélo, bien plus populaire que le Tour de France, bien plus lâche aussi : insulter, menacer, vomir sa frustration derrière un pseudo anonyme sur les réseaux sociaux.
"J’espère que tu vas crever", "Va te casser la gueule", "Prends ta retraite, t’as pas le niveau"…
Voilà désormais ce que reçoivent les coureurs du Tour en rentrant à l’hôtel, en plus des égratignures, des hématomes et de la fatigue accumulée après 200 bornes sous 35 degrés.
Bienvenue dans le nouveau quotidien du peloton, où chaque écart de trajectoire entraîne une chute… numérique.
Le bitume est peut-être plus doux que la connerie humaine.
Mais ce déferlement ne concerne pas que les cyclistes. Ce qui se joue sur les routes du Tour n’est qu’un énième symptôme d’un mal bien plus profond. Les artistes, les journalistes, les auteurs, les comédiens… personne n’est épargné.
Chacun, à sa place, fait face au même tribunal d’internautes sans visage, prêt à condamner sans preuve, sans nuance, sans même avoir lu ou compris ce qui est dit ou fait.
Les menaces de mort pour un journaliste après une enquête, les torrents d’insultes pour une actrice après un rôle controversé, le cyber-harcèlement subi par une streameuse après une partie en ligne : le sport, ici, n’est qu’un miroir grossissant d’une société qui a perdu tout repère dans l’usage de la parole et du respect.
Le problème est systémique. Les réseaux sociaux, au départ, devaient rapprocher les gens, favoriser les échanges, amplifier les voix. Aujourd’hui, ils servent surtout de défouloir.
Parce que ces plateformes, à force de tolérer, de fermer les yeux, de privilégier l’algorithme au bon sens, ont laissé prospérer ces comportements comme un terreau fertile à la haine gratuite.
Elles jouent les vierges effarouchées lorsqu’on parle de modération, brandissent la "liberté d’expression" à chaque tentative de responsabilisation, mais laissent prospérer les pires comportements.
C’est bien simple : plus ça choque, plus ça buzz, plus ça rapporte. Un tweet haineux, une vidéo agressive, un commentaire insultant génèrent de l’interaction, donc de la visibilité, donc de l’argent.
Pourquoi se priver ? Derrière les discours rassurants sur la modération, les grandes plateformes savent très bien que le conflit, la polémique et la haine sont devenus leur modèle économique.
Alors oui, les cyclistes tombent. Oui, les sportifs encaissent. Mais ils ne sont pas seuls. Nous vivons dans une époque où la haine est un spectacle et l’indignation une marchandise.
Le débat est ouvert : jusqu’où faudra-t-il aller ? Jusqu’à quel drame, quel suicide, quelle tragédie publique, pour qu’on s’interroge enfin sur le rôle des plateformes, sur leur responsabilité légale et morale ?
Car à force de banaliser l’inacceptable, on finit toujours par payer l’addition.
Ce n’est plus qu’un problème de sport, c’est un problème de société. Et il est grand temps d’arrêter de le banaliser. Un sprint raté ne mérite pas une condamnation. Une erreur ne vaut pas une exécution. Et derrière chaque pseudo, il y a une responsabilité qu’on ne peut plus fuir.
(Source : Aujourd’hui en France)