Stations de ski françaises : "un modèle économique qui s’essouffle"
La Cour des Comptes a publié ce mardi 6 février 2024 un rapport de près de 150 pages sur "Les stations de montagne face au changement climatique" avec en conclusion six recommandations. Synthèse.
La France est une destination clé pour le tourisme hivernal, se classant deuxième mondial avec 53,9 millions de journées-skieur, juste après les États-Unis. Elle se distingue par la combinaison de nombreux domaines skiables majeurs et de nombreuses petites stations. Le tourisme hivernal en montagne a connu un essor dans les années 1960-1970 grâce aux plans neige de l'État, créant des stations intégrées en haute altitude. Actuellement, le tourisme montagnard représente 22,4 % des nuitées touristiques en France. Le secteur des remontées mécaniques génère un chiffre d'affaires de 1,6 milliard d'euros, qualifié de service public par la loi "montagne" de 1985. Les communes jouent un rôle clé dans l'exploitation des domaines skiables. Une enquête des juridictions financières a étudié les impacts du changement climatique sur le tourisme hivernal, contrôlant 42 stations dans les Alpes, les Pyrénées, le Massif central et le Jura, avec une base de données de 200 stations pour une analyse statistique approfondie.
Le modèle économique de ski français s’essouffle
Le modèle économique des stations de ski, autrefois soutenu par la croissance du tourisme de ski, est durablement impacté par le changement climatique depuis le début du XXIe siècle. La diminution de l'activité ski et l'inadaptation croissante des infrastructures immobilières fragilisent l'équilibre financier des remontées mécaniques et l'économie locale associée. Le changement climatique, avec une augmentation des températures, aggrave ce phénomène, particulièrement en montagne. Les projections climatiques indiquent une accentuation à moyen terme, affectant l'enneigement et les risques glaciaires. Toutes les stations, inégalement vulnérables, seront plus ou moins touchées d'ici 2050. Les stations au sud du massif des Alpes seront plus rapidement affectées. Le changement climatique a déjà des impacts significatifs sur les finances publiques locales, avec des stations incapables d'atteindre l'équilibre d'exploitation en raison du manque d'enneigement et de la perte de clientèle, nécessitant une prudence accrue en matière d'investissement.
Les politiques d’adaptation restent en deçà des enjeux
Les politiques d'adaptation dans les régions montagneuses se concentrent principalement sur la production de neige, avec une moindre diversification des activités. La production de neige assure une fiabilité à court terme, mais son coût élevé et son efficacité réduite avec la hausse des températures en font une solution transitoire et relativement coûteuse. Les investissements réalisés ne sont pas toujours alignés sur les prévisions climatiques, et l'impact sur les ressources en eau est souvent sous-estimé. Les actions de diversification manquent souvent de projets concrets, reproduisant le modèle du ski sans plan économique. La coordination entre les collectivités territoriales est limitée, générant une concurrence entre territoires. Les efforts financiers en faveur de la production de neige risquent de maintenir une dépendance au ski, limitant les alternatives.
La planification écologique de l'État et des régions, bien que peu opérationnelle pour le tourisme en montagne, influence les investissements locaux par le biais des subventions sans considération suffisante pour le changement climatique. Pour mieux structurer l'action des collectivités, des plans d'adaptation au changement climatique doivent être mis en place, et le soutien financier public devrait être conditionné à ces plans.
La nécessité d’une gouvernance élargie et d’une meilleure préservation des ressources naturelles
L'organisation actuelle de la gouvernance en montagne, principalement axée sur l'échelon communal et manquant de regroupements, ne permet pas aux acteurs de s'adapter efficacement au changement climatique à l'échelle pertinente du territoire. Il est suggéré que, comme d'autres grands pays du ski, la France devrait favoriser une organisation fédératrice rassemblant tous les acteurs autour de projets territoriaux et d'une gouvernance élargie pour préserver les ressources et valoriser les espaces naturels. De plus, le risque de friches industrielles dans les montagnes françaises, avec environ 200 installations inutilisées et non démontées recensées, souligne la nécessité d'actions fortes de rénovation du patrimoine existant. Bien que la loi impose depuis 2016 le démantèlement des remontées mécaniques définitivement inutilisées, l'absence de sanctions et d'obligations pour les installations antérieures à cette date constitue un défi. Des initiatives privées demeurent la principale réponse à la remise en état des sites fortement impactés par ces activités de loisirs, faute de provisions dans les comptes des collectivités territoriales ou des exploitants.
Un subventionnement public significatif et croissant
Les opérateurs de remontées mécaniques percevant des financements publics, estimés à 124 millions d'euros annuellement, dépendent à hauteur de 23% de la dépense publique par rapport à leur chiffre d'affaires total de 529 millions d'euros. Pour les stations réalisant moins de 10 millions d'euros de chiffre d'affaires, les financements publics s'élèvent à 87 millions d'euros, représentant 28% de leur chiffre d'affaires. Le texte souligne que sans repenser fondamentalement le modèle économique, le niveau de subventionnement public augmentera en raison des projections climatiques, en enfermant les collectivités dans une dépendance au ski et limitant les possibilités de développer un tourisme toute l'année. Il est suggéré d'envisager une réorientation fondamentale de la dépense publique en fonction de la réalité climatique et économique de chaque territoire. Pour faciliter une adaptation non concurrentielle et compenser les fortes inégalités entre stations, la mise en place d'un fonds d'adaptation au changement climatique alimenté par la taxe locale sur les remontées mécaniques est proposée..
Recommandations de la Cour des Comptes
Mettre en place un observatoire national regroupant toutes les données de vulnérabilité en montagne, accessible à tous les acteurs locaux (ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires).
Faire évoluer le cadre normatif afin que les autorisations de prélèvements d'eau destinés à la production de neige tiennent compte des prospectives climatiques (ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires).
Formaliser des plans d’adaptation au changement climatique, déclinant les plans de massifs prévus par la loi Climat et résilience (autorités organisatrices, ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires).
Conditionner tout soutien public à l’investissement dans les stations au contenu des plans d’adaptation au changement climatique (ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires, régions, départements).
Mettre en place une gouvernance des stations de montagne ne relevant plus du seul échelon communal (ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, collectivités territoriales).
Mettre en place un fonds d’adaptation au changement climatique destiné à financer les actions de diversification et de déconstruction des installations obsolètes, alimenté par le produit de la taxe sur les remontées mécaniques (ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires, ministère de l’Économie et des Finances et de la Souveraineté Industrielle et Numérique).
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