Sirocco et Pastèque : souvenirs d'une enfance algérienne en guerre
Mon récit, c'est l'histoire d'une enfance volée par la guerre, d'un exil imposé et d'un retour sur la terre natale qui fit renaître la mémoire.
Il y a quelques mois, je me suis lancé dans un projet qui me tenait à cœur : l’écriture du récit de mon enfance troublée, marquée au fer rouge par la Guerre d’Algérie. Cette guerre, qui ne voulait pas dire son nom, que l’on désignait pudiquement par le terme “événements”, a fait irruption dans ma vie alors que je n’avais que quatre ans.
Pendant huit années interminables, elle m’a accompagné comme une ombre, se collant à ma peau, s’infiltrant dans mon cœur.
Puis vint l’indépendance, avec son cortège d’euphorie et de désillusions, et je quittai ce pays qui m’avait vu naître.
Pendant des années, j’ai survécu à la nostalgie, à ce besoin lancinant de retrouver ces lieux, ces odeurs, cette lumière si particulière du soleil algérien. Si j’ai pu résister, c’est sans doute parce que j’ai tout fait pour oublier : oublier mon pays, ses parfums, cette complicité intime avec la chaleur… et surtout ce mélange d’amour et de haine qui m’a laissé marqué à jamais, comme un éclopé de l’existence.
À douze ans, mon enfance s’est brisée net, et sans transition, je suis entré dans l’âge adulte, sans protection, sans repères.
Il y a cinq ans, pourtant, j’ai foulé de nouveau le sol de ma terre natale, et ce fut une explosion de bonheur. En m’asseyant sur les bancs de mon ancienne école, entouré de jeunes élèves algériens qui m’accueillaient avec une chaleur que je n’osais espérer, l’idée de raconter cette enfance durant la guerre a pris racine en moi.
Mais s’immerger dans ces souvenirs d’enfant n’a pas été facile.
Il m’a fallu affronter des souvenirs douloureux, faits de morts, de haine, de racisme, d’attentats, de pleurs, d’amertume et d’incompréhension. Pourtant, ma mémoire, loin de me trahir, a déroulé son fil, permettant enfin à ce récit de voir le jour.
L’accouchement fut long, laborieux, mais aujourd’hui, ce récit a un nom : Sirocco et Pastèque.
Et à la fin de l’année, probablement début novembre, alors que l’on commémorera les 70 ans du début de la Guerre d’Indépendance de l’Algérie, ce que l’Histoire a retenu sous le nom de “Toussaint Rouge”, ce récit prendra, enfin, la forme d’un livre.
Cette semaine, mon manuscrit entamera son voyage vers ma correctrice, et en septembre, ce sera au tour du maquettiste de donner corps à Sirocco et Pastèque.
En ce lundi 26 août, j'avais envie - et besoin - de vous donner des nouvelles de ce “bébé” qui s'apprête à voir le jour, ce projet qui, tel un compagnon de route, a partagé mes jours et mes nuits, mes doutes et mes espoirs.
Il est le fruit de mes souvenirs les plus enfouis, de mes cicatrices les plus profondes, et de cette force intérieure qui m'a permis de survivre à l'exil, à la douleur, et à la nostalgie.
Aujourd'hui, alors que ce manuscrit prend enfin forme, je ressens un mélange d'appréhension et d'excitation, comme un père qui voit son enfant s'apprêter à entrer dans le monde.
C'est un moment de fragilité et de fierté, un instant suspendu où l'on espère que le récit, devenu livre, trouvera son chemin vers d'autres cœurs, éveillera d'autres mémoires, et peut-être offrira un peu de paix à ceux qui, comme moi, ont dû traverser l'histoire avec ses déchirements.
(Photo © Paul Tian)