Moi, critique musical ? Jamais de la vie… mais alors La Traviata, quelle aventure !
Je ne sais pas déchiffrer une portée. Mais je sais quand le velours, les dorures et trois mille bravos font oublier le reste du monde.
Je vais être clair dès le début : je ne suis pas critique musical. Surtout pas. J’ai des tympans presque fonctionnels, une oreille à peu près accrochée et un certain goût pour Verdi… mais de là à disserter sur les vocalises d’une soprano ou les nuances d’un phrasé orchestral, non merci.
Mais voilà. Dimanche soir, porté par l’inspiration divine, je me suis retrouvé au Théâtre en plein air de la Cité de Carcassonne, ce joyau médiéval transformé en écrin lyrique. Et, croyez-moi, on n’a pas tous les jours l’occasion d’assister à La Traviata dans un tel cadre, avec en bonus une mise en scène d’un goût exquis signée... Henry-Jean Servat.
Henry-Jean Servat, metteur en scène de l’âme et du velours
Oui, Henry-Jean. L’inénarrable chroniqueur mondain, visiblement aussi à l’aise dans les soirées de la Riviera que dans la direction d’opéra. Et là, force est de constater : il a frappé fort. Très fort.
Les décors nous transportaient sans détour dans le XIXe siècle de Verdi : dorures, tentures somptueuses, colonnes théâtrales sorties tout droit d’un bal masqué aristocratique. Et les costumes ! De véritables œuvres d’art, cousues de soie, de brocart et d’un soupçon de nostalgie impériale. Chaque apparition de Violetta était un tableau vivant, chaque scène une estampe romantique. C’était fastueux, grandiose, soigné jusqu’au dernier bouton de manchette. Henry-Jean Servat a prouvé qu’il savait faire chanter le velours autant que les artistes.
Et ce n’est pas tout, mes bons amis
Avant même que le rideau ne s’ouvre, Henry-Jean – visiblement galvanisé par les projecteurs – annonce, l’œil humide, la présence dans la salle de la Comtesse de Paris. La Comtesse ! Rien que ça. J’ai bien failli me lever pour scander "Vive la République !", histoire d’équilibrer les ondes monarchiques.
Il ajoute, ému, qu’Isabelle Adjani, sa grande amie, n’a pu venir. Motif ? Son chat est tombé. Si si. La Diva des planches a repris le premier train pour Paris au chevet de son félin éploré. Émotion. Tragédie. Opéra miniature.
Mais tout cela ne serait rien sans le public…
…et ses téléphones. Ah, ces téléphones. Un couple de quinquagénaires assis non loin de moi s’est offert une session SMS / scrolling frénétique tout au long du deuxième acte. Sans interruption. Je ne sais pas ce qui les captivait tant… leur horoscope ? Le live score d’un match de padel ? Mystère. Mais pourquoi venir à l’opéra pour ne pas le regarder ? Peut-être qu’ils croyaient être dans un open space avec bande-son de luxe.
Et puis il y a ces gens – on les connaît – qui se lèvent quelques minutes avant la fin, bousculent les rangées, fuient le final comme si l’orchestre allait se transformer en marée humaine. Pas de salut, pas de clap, juste un zip de fermeture éclair et une échappée en baskets. Dignes, mais en fuite.
Le final, pour les vrais
Heureusement, les 2975 spectateurs restants – les vrais, les loyaux, les respectueux – ont salué cette Traviata d’une ovation rare : 30 minutes de bravos, de vivas, d’applaudissements à réveiller la cité. Une reconnaissance méritée pour les voix sublimes d’Erminie Blondel, de Kévin Amiel, de Yoann Dubruque, pour la direction inspirée de Claude Cuguillere… et pour cette mise en scène d’un raffinement somptueux, digne des plus grandes maisons.
Morale de l’histoire ?
Ne pas être critique musical, ce n’est pas un obstacle pour être ébloui. Et parfois, c’est même un avantage : ça laisse intacte la capacité d’émerveillement. Encore faut-il éteindre son téléphone… et garder ses fesses jusqu’au dernier rideau.
Qu'elle chance d'y être allé.