Mémoire sélective : les héros noirs de la Libération passés sous silence
Derrière l'euphorie de la Libération, une discrimination silencieuse a effacé les sacrifices des héros africains, reléguant leur courage à l'oubli collectif.
Le 26 août 1944, lors de la Libération de Paris, le général de Gaulle descend triomphalement les Champs-Élysées, un acte symbolisant officiellement la fin de l'occupation allemande de la capitale française. Cet événement, souvent glorifié comme un moment d'unité nationale, cache en réalité des tensions profondes et des pratiques discriminatoires, trahissant une société encore imprégnée de préjugés raciaux.
Racisme au sein de l’armée française
Au cœur de ce défilé historique, un épisode troublant met en lumière les fractures de l'époque : George Dukson, un sous-lieutenant gabonais surnommé "le Lion noir du 17e", est sommairement écarté du cortège. Ce geste, loin d'être anodin, expose crûment le racisme institutionnalisé au sein de l'armée française. La participation des soldats africains, bien que cruciale, est minimisée, voire effacée, des cérémonies commémoratives, révélant une volonté délibérée de construire une mémoire collective excluant ces héros de couleur.
Le “blanchiment” des troupes : une trahison diplomatique ?
La décision scandaleuse de “blanchir” les troupes lors des événements officiels résulte non seulement de préjugés raciaux enracinés mais aussi de calculs diplomatiques cyniques. Dans le but de ne pas heurter les sensibilités des Alliés, notamment les Américains ségrégationnistes, la France choisit de reléguer ses soldats noirs à l'arrière-plan, sacrifiant ainsi leur reconnaissance sur l'autel des relations internationales. Cette pratique honteuse a contribué à ériger une barrière invisible entre les soldats des colonies et ceux de la métropole, un mur de silence qui persiste encore aujourd'hui.
Le mythe d'une Résistance “blanche” : une falsification historique
L'occultation systématique des soldats africains et nord-africains dans les récits de la Libération n'est pas qu'un oubli ; c'est une réécriture délibérée de l'histoire, un mythe forgé pour glorifier une Résistance prétendument homogène et blanche. Cette manipulation narrative a des répercussions profondes, non seulement sur la mémoire collective française, mais aussi sur l'identité des descendants de ces combattants, condamnés à l'oubli.
Réhabilitation tardive mais nécessaire
Aujourd'hui, les historiens tentent, parfois avec difficulté, de corriger cette vision tronquée de la Libération de Paris. Pourtant, le chemin vers une reconnaissance pleine et entière des combattants de toutes origines reste semé d'embûches. Il est grand temps de rendre justice à ces hommes et femmes qui, malgré leur courage et leurs sacrifices, ont été délibérément exclus des récits héroïques qui fondent l'identité nationale. La France ne peut prétendre à une histoire partagée tant que la diversité des acteurs de sa libération n'est pas pleinement reconnue et célébrée.
“Dans les mois qui ont précédé le grand jour, de Gaulle s’était désespérément inquiété de l’image de la libération et du rôle présumé de la France dans celle-ci. Homme fier et patriote, le leader exilé savait que ce seraient les Américains et les Britanniques qui fourniraient la plus grande part des troupes qui forceraient les Allemands à quitter la France. Mais il voulait que les soldats français soient parmi les premiers à entrer dans la capitale.” (Gary Younge, professeur de sociologie à l’Université de Manchester, en Angleterre, dans The Financial Times)
"Sur cette image on voit un sous-officier français ‘inviter’ Dukson à quitter le cortège. Mes recherches d'autres images vont confirmer que ce combattant de la Libération de Paris a été sorti manu militari du cortège par ceux qui font office de service d'ordre. Une autre photographie, celle-ci extraite du livre de Pierre Bourget, Paris 1940-1944 montre que l'invitation du sous-officier français adressée à Georges Dukson se transforme en vigoureuse et violente mise à l'écart.’ (Éric Lafon, conservateur au Musée de l’histoire vivante)
A lire sur “Géo” : Une photographie oubliée du général de Gaulle livre une vérité dérangeante sur la Seconde Guerre mondiale
Fondation de la Résistance : Photographie de Dukson, « un oublié de l'histoire » de la Libération
France 24 : Georges Dukson, le "lion noir" de la Libération de Paris, un héros oublié
(Photo : Foule sur les Champs Élysées regardant les blindés de la 2e DB avec des banderoles "De Gaulle au pouvoir" et "Vive De Gaulle", 26 août 1944. Source : United States Library of Congress, libre de droit)