"Me tenir droite" de Denis Soula : la grâce au bord du précipice
Comment survivre après avoir tué son propre enfant ? Dans ce récit à l’os, Denis Soula explore le poids du silence, la violence du souvenir et la grâce fragile d’un possible retour à la vie.
Il y a des livres qui s'avalent. Et d'autres qui s'infiltrent, goutte à goutte, dans les recoins les plus sensibles de l'être. Me tenir droite, le dernier roman de Denis Soula, fait partie de ceux-là. Un court texte, à peine 144 pages, mais un poids sur l'âme comme un hiver sans fin.
Ce roman, c'est une voix. Celle d'une femme qui a tué son fils. Par négligence. Par ivresse. Un soir, elle reprend la voiture, éméchée, après avoir vu un ancien amant. Ses deux enfants à l'arrière. Et tout bascule. L'un meurt. L'autre survit. Elle purge sa peine. Et, à sa sortie, elle s'installe dans une vie d'ombre. Travailler. Respirer. Tenir debout.
Denis Soula m'a pris de court. Pas d'effets de manche. Une écriture coupée au scalpel, au plus près des os et des silences. Tout est retenue, pudeur, dignité. Même la douleur. Surtout la douleur.
Il n'y a pas de noms dans ce roman. Juste des fonctions : la mère, le fils, l'ex-mari. Et cela suffit. Parce qu'ici, tout est à nu. Ce que cette femme a fait, elle ne le nie pas. Elle le porte. Sans se justifier. Sans chercher le pardon.
Il y a ce moment déchirant où elle regarde, depuis la rue, son fils survivant. Il a 17 ans. Elle ne l'a pas vu depuis six ans. Jusqu'au jour où il pousse la porte du bistrot où elle travaille. Là, quelque chose vacille. Une possibilité. Le lien brisé peut-il se renouer ?
Mais ce roman ne joue pas la carte de la rédemption à l'américaine. Pas de miracle. Seulement la tentation fragile du pardon. Cette ligne de crête entre haine, amour, mémoire et oubli. Et surtout ce besoin viscéral de "se tenir droite", comme un dernier rempart contre l'effondrement.
On sent, dans cette prose, les échos d'Annie Ernaux pour la lucidité sociale, de Marguerite Duras pour l'économie des mots. Ce n'est pas tant la littérature qui affleure, que la vie. La vie brute.
Dans ce roman sans lumière, quelques reflets pourtant. La volonté de la mère, immense. L'apparition du fils. Et surtout ce fil ténu qui relie les vivants quand ils acceptent de regarder la blessure en face.
Me tenir droite n'est pas un roman sur la résilience. C'est un roman sur la douleur de vivre. Sur la tentative d'être digne dans l'après.
Et sur cette chose si rare en littérature : la vérité nue.
À lire si vous aimez les livres qui ne flattent pas, mais qui marquent. À lire si vous croyez encore que la littérature peut être un refuge pour les écorchés. À lire, surtout, si vous êtes prêts à écouter une voix que personne ne veut entendre.
Une voix qui ne crie pas. Qui ne supplie pas. Mais qui, du fond de l'abîme, murmure :
Je suis la méchante. Mais je suis là. Debout.
Me tenir droite, Denis Soula – Éditions Joëlle Losfeld, 144 pages, 18,50 €. Livre numérique 12,99€