Les stations thermales doivent se réinventer pour survivre à la crise énergétique
"La crise énergétique mondiale frappe directement les établissements thermaux".
Cet article a été initialement publié sur le site The Conversation (Licence Créative Commons). Auteur : Guillaume Pfund, Docteur en Géographie Economique associé au laboratoire de recherche EVS, Université Lumière Lyon 2.
Près de la moitié des stations thermales chauffent leur eau, ce qui génère des dépenses énergétiques considérables. Pour éviter cela, à l’heure où de plus en plus de stations sont obligées de fermer suite à la hausse des tarifs de l’électricité, la géothermie est une piste prometteuse.
En avril 2023, le centre thermal de Camoins-les-Bains, à Marseille, annonçait sa fermeture définitive après deux siècles de fonctionnement. Derrière cette nouvelle locale se cache en fait les répercussions inattendues de la crise énergétique mondiale que nous traversons, marquée par des hausses de tarifs du gaz et de l’électricité impactant les activités économiques françaises. Le thermalisme n’en est pas exclu, le propriétaire du centre de Camoins-les-Bains, expliquant la décision de fermer cette institution du thermalisme marseillais par l’important déficit d’exploitation lié en grande partie à l’augmentation du coût de l’énergie gaz et électricité qui a été multiplié par quatre.
Même constat à Budapest, ville emblématique du thermalisme, avec des bains visités chaque année par des millions de touristes, mais où les prix de l’énergie ont fait augmenter les coûts d’exploitation des thermes de 170 % entre 2023 et 2022. Pour y faire face, différentes mesures d’économies sont mises en place (service réduit, bassins extérieurs recouvertes, augmentation des tarifs…).
Un secteur d’activité vital pour les communes rurales et petites villes
En France, ce vent mauvais qui touche le secteur thermal inquiète car il fait travailler, directement ou non un nombre non négligeable de personne et demeure une partie importante de l’identité de certaine commune.
La France est de fait au troisième rang européen en nombre d’établissements thermaux avec 115 thermes sur 89 communes. Le secteur national pèse pour 10 000 emplois directs et 40 000 emplois indirects (hébergement, restauration…) pour une fréquentation de 457 000 curistes en 2023.
Le thermalisme est de surcroit une activité qui permet le développement du territoire, car il s’agit majoritairement d’espaces ruraux et montagnards, où l’économie est peu diversifiée, voire en situation de mono-activité. Près de 70 % des communes thermales font moins de 5 000 habitants et concentrent près de 54 % de la fréquentation nationale.
Près de la moitié des établissements doivent chauffer leurs eaux
Pour comprendre comment ce secteur d’activité, discret et peu connu, peut être autant affecté par le coût de l’énergie, commençons par rappeler plusieurs choses. D’abord un établissement thermal ne rime pas systématiquement avec eau chaude. Près de la moitié doivent même chauffer leurs eaux.
Aujourd’hui encore, la dénomination thermale regroupe à la fois des lieux alimentés en Eau Minérale Naturelle (EMN) naturellement chaudes, mais aussi froides ou tièdes, devant être réchauffées artificiellement. Il existe donc un large éventail de situations locales allant des thermes de Chaudes-Aigues, dans le Cantal, avec des émergences à 82 °C, et les thermes de Contrexéville, dans les Vosges qui utilisent un captage d’eau froide à 11 °C.
Sur l’ensemble des 706 captages d’eaux minérales naturelles exploitées par les usages économiques en France, près de la moitié des sources sont des eaux dites hypothermales (inférieur à 20 °C). Le reste des sources sont pour un quart des eaux chaudes (entre 30 et 50 °C), et à part égale des eaux tièdes (entre 20 et 29 °C) et hyperthermale (supérieur à 50 °C). Les eaux naturellement chaudes, supérieures à 30 °C ne représentent donc que 38 % des émergences exploitées. Cette tendance est cependant renforcée pour les sources utilisées par l’usage thermal. Sur les 259 émergences qui alimentent un établissement thermal, un tiers sont des eaux froides (inférieures à 20 °C), 15 % sont tièdes (20-29 °C), un tiers sont chaudes (30-50 °C) et 20 % sont hyperthermales supérieures à 50 °C.
Cette situation montre qu’à minima près de 45 % des établissements thermaux doivent donc chauffer les eaux thermales dans les bassins et pour les soins. L’impact est d’autant plus significatif que le premier poste de charge pour les établissements thermaux concerne le chauffage de l’eau, dans un contexte global d’équilibre d’exploitation qui reste fragile.
Une occasion pour développer la géothermie ?
Dans le contexte actuel de crise énergétique mondiale, les établissements thermaux doivent donc se réinventer pour survivre. La géothermie basse température est peut être une partie de la solution. Les 63 d’établissement thermaux disposant d’une ressource en eau naturellement chaude pourraient sembler avantagés à mettre en place un système de récupération des calories. Mais dans les faits, très peu de sites ont mis en place de tels dispositifs qui permettent pourtant de couvrir la totalité des besoins en chaleur (chauffage, la production d’eau chaude sanitaire, ainsi que le réchauffement et le maintien de la température des bassins en eau).
Ainsi, le complexe thermal de Chaudes Aigues (Cantal) inauguré en 2009, qui exploite la source du Par à 82 °C, la plus chaude d’Europe, n’a pas intégré la géothermie basse énergie. À l’inverse, la commune de Saint Gervais, en Haute Savoie, a intégré il y a une quinzaine d’années une valorisation des calories de l’eau à 39 °C dès 2009 pour remplacer la chaudière au gaz. Grâce à cet investissement, la réduction annuelle de charge d’exploitation est de l’ordre de 122 000€, pour un investissement initial de 350 000 € dont 60 % de subvention par l’Ademe et la Région.
De la même manière, les thermes de Luchon, en Haute-Garonne ont installé, il y a huit ans un système d’échangeur thermiques sur les sources Pré et Reine, ce qui permet une réduction des charges de 200 000€ par an.
Une pratique de la géothermie plus ancienne qu’il n’y parait
Mais l’on retrouve des chantiers bien plus anciens d’utilisation de la géothermie dans des établissements pour curistes. Elle a ainsi été mobilisée par les thermes de Lavey-les-Bains, dans le canton de Vaud en Suisse, depuis 1970 grâce à une eau thermale à 62 °C. Si le système couvrait seulement 40 % des besoins de chaleur de 1970 à 1992, la nouvelle installation inaugurée en 2000 permet une autonomie complète. L’antériorité de ce type de projet en Suisse est directement liée aux actions de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), qui a étudié dès 1992 les moyens d’optimiser la ressource géothermique.
La géothermie basse énergie (30-89 °C) est également une solution valorisée par des usages dédiés en France depuis longtemps (serres végétales, chauffage urbain, etc…). Sur la commune de Chaudes-Aigues (Cantal), la valorisation des calories de l’eau thermale par un réseau de chaleur pour des habitations est attestée depuis 1332, avant l’apparition de l’usage thermal au XIXe siècle.
Jusqu’en 2004, une centaine d’habitations étaient ainsi chauffées grâce à l’eau chaude des sources. Désormais orientée en priorité pour l’usage thermal, aujourd’hui, seulement une trentaine de maisons bénéficient de ce chauffage urbain. Mais le trop-plein des thermes est valorisé pour chauffer l’église, la piscine municipale et le collège. A Dax, dans le département des Landes, entre 1940 et 1990, la ville a alimenté en eau thermale naturellement chaude près de 1 600 abonnés particuliers du centre-ville. La diminution des prélèvements d’eau thermale de 40 %, a également permis une remontée de température de 14 °C aux émergences et de prioriser les usages économiques et d’intérêt public (thermes, centre aquatique, Lycée Borda, piscine et des serres municipales).
Assez peu développé en France, les projets de géothermie basse énergie émergent au moment des crises énergétiques. C’est le cas entre 1961 et 1980 par exemple. Mais aujourd’hui, sur les 112 forages profonds dédiés en France, seulement 34 installations géothermales basse énergie sont en fonctionnement dans le Bassin parisien et le Bassin aquitain (Bordeaux, Mont-de-Marsan, Dax).
Différents projets émergent à nouveau sur les communes thermales. C’est le cas de l’écoquartier des Rives de l’Allier à Vichy, de l’écoquartier de la Duranne à Aix-en-Provence, ou du projet de micro-centrale géothermique à Chaudes Aigues.
Plus que jamais, la valorisation des calories des émergences d’eau naturellement chaude par un système de géothermie basse température est une opportunité à saisir pour plus de la moitié des établissements thermaux français. Pour les autres, la capacité de résilience est à rechercher ailleurs comme c’est le cas à Vals-les-Bains) avec la mise en place de plusieurs solutions notamment, des travaux d’isolation, l’installation de pompe à chaleur, et le recyclage de la chaleur des eaux usées.
Cet article a été initialement publié sur le site The Conversation (Licence Créative Commons). Auteur : Guillaume Pfund, Docteur en Géographie Economique associé au laboratoire de recherche EVS, Université Lumière Lyon 2.