Le secret des pas sur le sable
Comment s'évader du monde sans le quitter vraiment ? En apprenant l'art subtil de la distance, cette alchimie qui transforme quelques mètres de sable en île déserte.
(Photo © Paul Tian)
Il y a cette façon particulière de marcher sur le sable quand on veut s'éloigner. Pas le pas lourd du touriste qui s'affale près des parasols, mais cette démarche un peu flottante, presque méditative, qui vous porte naturellement vers l'ailleurs. On commence par longer la lisière des vagues, là où le sable est plus ferme, et puis on bifurque, on s'écarte insensiblement du petit groupe de baigneurs agglutinés près du poste de secours.
Marcher sur le sable, c'est tout un art. Il faut accepter que les pieds s'enfoncent un peu, que la cheville se torde légèrement à chaque pas. Il faut trouver ce rythme particulier, ni trop rapide ni trop lent, qui vous fait glisser sur cette étendue dorée comme on glisse dans un rêve éveillé.
Et puis, tout à coup, on se retourne. Les autres ne sont plus que des points colorés dans le lointain, leurs voix se sont perdues dans le murmure constant de la mer. On a réussi. On a trouvé son bout de monde, cette sensation délicieuse d'être seul au monde sur une île déserte, même si on sait très bien qu'il suffirait de revenir sur ses pas pour retrouver la civilisation.
C'est le moment de la première baignade de l'année, celle qu'on s'offre comme un cadeau. L'eau est encore froide, bien sûr, mais il y a cette lumière particulière du début de saison, cette qualité de l'air qui rend tout possible. On entre dans l'eau par petites touches, on s'habitue, on apprivoise cette mer qui nous avait presque oubliés pendant l'hiver.
Le corps se souvient pourtant. Il retrouve d'instinct ces gestes anciens : la brasse coulée, les yeux mi-clos dans l'écume, cette façon de se laisser porter par les vagues comme si on rentrait chez soi après un long voyage.
Derrière soi, la plage s'étire, immense et presque vide. Devant, l'horizon trace sa ligne parfaite entre le bleu du ciel et celui de la mer. On pourrait être Robinson Crusoé découvrant son île. On pourrait être n'importe qui, n'importe où, dans cette géographie provisoire que dessinent nos pas sur le sable.
Mais c'est exactement là qu'on voulait être : nulle part et partout à la fois, dans ce petit bonheur simple d'avoir su s'échapper du monde sans vraiment le quitter.
© Paul Tian
un avant gout , enfin !