La conquête de l’Algérie : 1830-1852, une guerre coloniale oubliée
La "Première Guerre d'Algérie" : Une histoire méconnue révélée par Alain Ruscio. (Editions La Découverte).
{Les enfumades du Dahra en juin 1845 par le lieutenant-colonel Pelissier après la déclaration de la doctrine du Maréchal Bugeaud / eau-forte de Tony Johannot / Wikipedia}
Alors que la France et l'Algérie commémorent les 70 ans de la “Toussaint Rouge”, marquant le début de la guerre d'indépendance algérienne en 1954, l'historien Alain Ruscio nous rappelle, dans son nouvel ouvrage “La Première Guerre d'Algérie : Une histoire de conquête et de résistance, 1830-1852”, que ce conflit n'est pas la première guerre entre Français et Algériens.
Les origines d'une conquête brutale
Dès le 14 juin 1830, à l'aube, la France engageait une campagne militaire sans précédent depuis les guerres napoléoniennes, en posant le pied à Sidi-Ferruch. Cette invasion marquait le début d'une longue et violente occupation, une “première guerre d'Algérie” qui allait durer plus de vingt ans et plonger les deux nations dans un cycle de violence extrême.
Alain Ruscio déroule avec précision le contexte de cette conquête, motivée par des visées géostratégiques, économiques et idéologiques.
À l'époque, la France de la Restauration souhaitait établir son influence sur la Méditerranée, face à la domination britannique, et voyait en l'Algérie un “eldorado” où les Français pourraient trouver une réponse aux maux économiques et sociaux de la métropole.
Le fameux “coup d'éventail” donné par le dey d'Alger au Consul de France, en avril 1827, fut alors utilisé comme prétexte symbolique pour justifier l'intervention militaire.
Une guerre d'une brutalité inouïe
Avec une écriture sans concession, Alain Ruscio explore cette “première guerre” marquée par des épisodes de répression féroce et des méthodes d'une brutalité inouïe.
Comme il le souligne :
La violence fut le mode de gouvernement principal des Français en Algérie dès les premiers jours de la conquête.
Sous les ordres de François Guizot, Adolphe Thiers, et d'autres chefs d'État influents, des officiers tels que le maréchal Bugeaud menèrent une politique de terreur, inspirée de la doctrine de la “pacification”.
Les populations algériennes, résolument opposées à l'occupation, subirent de terribles représailles : villages brûlés, expropriations massives, viols, massacres et enfumades.
À travers les pages de son ouvrage, Alain Ruscio redonne vie aux figures de cette résistance, dont l'émir Abd el-Kader, chef charismatique et emblématique de la lutte algérienne, qui tenta d'organiser une contre-offensive pour défendre sa terre face à l'armée française.
Les racines de l'esprit colonial français
Le livre d’alain Ruscio est aussi une plongée dans les racines de l'esprit colonial français, qu'il n'hésite pas à qualifier de “colonialisme racial”. Cette idéologie, qui attribuait aux “races européennes” une supériorité supposée et une mission de “civilisation” envers les peuples conquis, trouvera des partisans chez certains intellectuels de renom, comme Tocqueville et Lamartine, tandis qu'une poignée de voix, plus minoritaires, se dresseront pour dénoncer cette barbarie.
Un éclairage inédit sur l'histoire coloniale française
À travers 750 pages rigoureuses, ce travail apporte un éclairage cru et inédit sur l'un des chapitres les plus sombres de l'histoire coloniale française. Il explore non seulement les motivations et stratégies des dirigeants, mais aussi les expériences et résistances des Algériens, mettant en lumière les tensions sociales et politiques qui allaient bientôt engendrer une société française profondément marquée par l'esprit colonial.
Alain Ruscio affirme : “Cette première guerre d'Algérie a forgé l'esprit colonial français pour les décennies à venir.”
Si l'auteur regrette l'absence de cartes dans son ouvrage, il compense par une richesse documentaire et une écriture méticuleuse qui rendent cette synthèse indispensable pour comprendre les racines du conflit franco-algérien.
Un regard critique sur un passé qui résonne encore
En rappelant que cette “première guerre d'Algérie” a laissé des séquelles profondes, tant pour la France que pour l'Algérie, Alain Ruscio invite à un regard critique et sans complaisance sur un passé colonial qui continue d'influencer les rapports entre les deux nations, 70 ans après la “Toussaint Rouge”.
L'ouvrage d’Alain Ruscio s'inscrit dans un courant “historiographique” qui cherche à réévaluer l'histoire coloniale française. Sa contribution est particulièrement significative car elle met en lumière une période souvent négligée dans les récits historiques traditionnels.
Ce livre pourrait bien devenir une référence incontournable pour comprendre les origines profondes des tensions actuelles entre la France et l'Algérie, tout en alimentant les débats sur la nécessité d'une reconnaissance plus complète de l'histoire coloniale française.
{Portrait de l’émir Abd-el-Kader, au Château d’Amboise, par Ange Tissier en mars 1879 / Wikipedia}
Edition “La Découverte” / 750 pages / 29,90€