Je me souviens avec une profonde nostalgie des jours lointains où Monsieur Amsallem, notre sévère instituteur des cours élémentaires première et deuxième années, honorait nos efforts scolaires en délivrant des billets d’honneur empreints de solennité. Les souvenirs s'entremêlent avec l'odeur persistante de l'encre, le bruit familier des craies crissant sur le tableau, et la leçon de morale quotidienne qui trônait fièrement devant nos yeux sur le tableau noir. Le toucher du papier des livres, les blouses grises qui nous portions, le silence imposé dans la classe et les coups de règle durement distribués à la moindre indiscipline sont comme un canevas de cette époque révolue.
Je me souviens également des noms de mes camarades, toujours gravés dans le marbre de mes pensées : Chadli, Ramdan, Aït Abderaïm, Habib, Ben Beche, Bel Abbes, Nerras, Boutarème, Dib, Djilalli, Diaz, Khorn, Morales, Sebban, Meshoud… C’était l’époque des premières amitiés et des premiers conflits. Les voix, les rires, les regards, les gestes, les émotions résonnent encore en moi quand j’y repense.
Je me souviens aussi de l’une de mes premières expériences cinématographiques grandioses, celle du “chef-d’œuvre” de Cecile B. DeMille, “Les Dix Commandements”, projeté sur l’écran du cinéma Vox de Tiaret. Cependant, cette très longue épopée épique eut raison de ma vigilance enfantine, et je succombai au sommeil après le second entracte, bercé par les images...
Le goût de la crème glacée au début de la séance, le bruit des spectateurs en train de manger et de discuter à voix haute tout au long du film, l’épaisse fumée des cigarettes qui enveloppait la salle sont autant de détails gravés dans ma mémoire, tels des témoins de cette époque lointaine.
Je me souviens aussi d’avoir lu dans les colonnes du quotidien L’Echo d’Oran, une réclame proclamant que “les enfants apprennent à lire dans Riquiqui, les belles images”.
Avec une pointe d’amertume, je me souviens de l’huile de foie de morue, ce remède hivernal supposé nous préserver des assauts du froid. Son goût désagréable suscitait en nous une envie de vomir. “C’est bon pour la santé”, me répétait ma mère. Mais était-ce vraiment le cas ? Ou simplement une croyance populaire sans fondement… Je me demande si les enfants d’aujourd’hui pourraient supporter un tel supplice.
Je me souviens également des cataplasmes, ces emplâtres dont la chaleur pénétrante brûlait nos ventres jeunes et sensibles. Ces remèdes d’un autre temps, aux effets parfois douteux, symbolisent la médecine de notre enfance, teintée d’innocence et d’expérimentations. “Ça va passer”, nous rassurait-on, pour nous consoler.
(Photo : mon école primaire à Tiaret / © Paul Tian)