Je me souviens... de cette angoisse à chaque rentrée scolaire
Alors que les élèves français sont de retour cette semaine dans leurs établissements, je repense à cette période que j'abhorrais.
Chaque année, la rentrée scolaire surgissait tel un spectre familier, enveloppant mes pensées d'une angoisse implacable. Ce n'était pas une simple appréhension passagère, mais une terreur viscérale qui me tordait l'estomac et me laissait le corps fiévreux. Cette peur, ancrée au plus profond de moi, prenait racine dans mes premiers pas hésitants dans ce monde de l'éducation.
Les origines d'une peur
À l'âge de cinq ans, j'étais déjà un enfant différent. J'avais appris à lire et à écrire avec ma mère, bien avant d'affronter les portes de la maternelle. Mais cette avance, loin d'adoucir le choc de la première rentrée, semblait exacerber mon sentiment de décalage. J'étais arraché à la chaleur de mon cocon familial pour être jeté dans un univers inconnu, dont l'hostilité silencieuse résonnait en moi comme une menace sourde, un écho lointain d'un monde que je ne comprenais pas encore.
Souvenir indélébile
Je revois ce jour comme si c'était hier, gravé au fer rouge dans ma mémoire. Les portes de l'école se dressaient devant moi, symboles d'un passage obligé mais terrifiant. En une fraction de seconde, la panique m'a envahi, brutale, irrésistible. Dans un élan désespéré, mes petites mains se sont accrochées au cou de ma mère, avec une force que seul le désespoir peut générer. J'étais comme un naufragé agrippé à sa bouée de sauvetage dans une mer en furie, luttant contre les vagues implacables de la séparation. Ma peur était si intense que les marques de mon étreinte sont restées visibles sur la peau de ma mère pendant des jours, témoignage silencieux de mon refus absolu de franchir ce seuil, de quitter la sécurité d'un monde familier pour un autre qui me semblait bien menaçant.
Angoisse persistante
Les années ont passé, mais l'angoisse est demeurée, tenace et inébranlable, comme une ombre qui s'étire avec le temps sans jamais disparaître. Chaque rentrée scolaire ramenait avec elle ce même sentiment d'appréhension, cette même peur étouffante. À chaque fois, je redevenais cet enfant de cinq ans, paralysé à l'idée de quitter le refuge du foyer familial. Je repensais souvent à cette première rentrée, à ce moment de résistance intense, où j'avais tenté en vain de repousser une séparation qui me semblait insurmontable, comme si le temps s'était figé dans cet instant de terreur pure.
L'ombre de la guerre
Cette angoisse, déjà profonde, s'est amplifiée durant les premières années de ma scolarité, alors que la guerre d'Algérie marquait le quotidien de mon enfance. Les bruits des nouvelles à la radio, les conversations chuchotées des adultes, et l'atmosphère de tension omniprésente ajoutaient une couche supplémentaire à mes peurs, transformant le monde extérieur en un lieu encore plus menaçant. Chaque rentrée devenait non seulement le symbole de la séparation d'avec ma famille, mais aussi une plongée dans un monde de plus en plus incertain et troublé, où l'insécurité collective et les échos de la guerre accentuaient ma propre vulnérabilité.
Une peur si profonde
Aujourd'hui, avec le long recul des années, je m'interroge sur la source de cette peur si profonde qui a façonné mon rapport à l'école et, par extension, au monde.
Était-ce la crainte de l'inconnu, cette peur primordiale qui nous habite tous ?
La peur de ne pas être à la hauteur des attentes que l'on plaçait en moi, de décevoir ceux qui croyaient en moi ?
Ou simplement un refus instinctif de quitter le cocon protecteur de ma famille, dernier bastion de sécurité dans un monde en plein bouleversement ?
Quoi qu'il en soit, ces souvenirs demeurent vifs, témoins d'une époque où chaque rentrée était un véritable défi, une épreuve qui me rappelait combien le monde extérieur pouvait être intimidant pour un esprit si jeune et vulnérable.
Cette expérience a laissé une empreinte indélébile, façonnant ma perception de l'école, et peut-être même de la vie, me rappelant à chaque instant que grandir est un processus fait de séparations et de découvertes, parfois douloureuses, souvent nécessaires.
Elle n'a fait que confirmer à quel point l'enfance est une période fragile, où chaque événement peut avoir un impact durable sur notre devenir. Ces premières expériences scolaires, mêlées aux échos d'un monde en guerre, ont tissé la toile de fond de mon existence, laissant des traces qui, même des années plus tard, ne cessent de résonner en moi.
Elles sont comme un écho lointain mais toujours présent de nos premières peurs, un rappel constant que nos expériences d'enfance continuent de nous façonner, longtemps après que les portes de l'école se soient refermées derrière nous.
(Illustration : mon école à Tiaret en Algérie / photo © Paul Tian)