François Truffaut à La Réunion : le jour où le cinéma a fait irruption dans ma vie
Souvenirs, souvenirs... C'était en 1969, et nous aussi nous avions fait les "400 coups"...
Ce lundi soir sur ARTE, La Sirène du Mississipi de François Truffaut. Un film qui me ramène à une époque lointaine, comme une douce marée de souvenirs qui vient caresser la plage de ma mémoire...
Je me retrouve à nouveau sur cette île volcanique, La Réunion, où la venue de François Truffaut, Jean-Paul Belmondo, Catherine Deneuve, Michel Bouquet… avait secoué les terres bien plus que le grondement du Piton de la Fournaise.
C'était un événement d’une ampleur que l’on peine à imaginer aujourd'hui, dans un monde où tout semble déjà vu, déjà vécu.
Je me souviens, j’étais là, témoin de ce moment unique. Quelques prises, auxquelles j’ai assisté avec l’émerveillement de ceux qui découvrent le cinéma à travers le filtre du réel.
Nous, les membres de ce petit ciné-club de Saint-Denis, nous n'étions pas de simples consommateurs d'images. Nous vivions le cinéma. François Truffaut était pour nous une figure tutélaire, et Les 400 coups une œuvre qui résonnait profondément avec nos vies.
Peut-être y voyions-nous un reflet de notre propre quête de liberté, une liberté encore plus pressante dans cette île aux marges de la France.
C'était en 1969, un an après Mai 68, et pourtant l’effervescence qui régnait sur l’île était moins politique que culturelle. Nous étions jeunes, plein d’espoir, et nous rêvions que François Truffaut, avec son aura et sa sensibilité, puisse porter notre désir d'autonomie de ce bout de terre au milieu de l’Océan Indien, à travers son art.
Mais François Truffaut n’était pas venu pour cela. Il avait laissé en métropole ses rêves soixante-huitards, et était là pour tourner son film, uniquement pour cela.
Cette désillusion, au début amère, nous avait ouvert les yeux sur le monde du cinéma, un monde qui parfois restait sourd aux luttes des autres, préférant les éclats du Festival de Cannes aux murmures de notre île.
Et le film, La Sirène du Mississipi... Il nous transportait dans un autre monde, celui d’un riche entrepreneur de La Réunion, amoureux d’une mystérieuse jeune femme qu’il épouse sans la connaître.
Catherine Deneuve, blonde envoûtante, délivre dans ce film deux des monologues les plus bouleversants de sa carrière, tandis que Jean-Paul Belmondo, à contre-emploi, y dévoile une fragilité insoupçonnée.
À l’époque, le film fut un échec, boudé par le public et les critiques. Mais avec le temps, il a pris la patine des œuvres précieuses, celles qui exigent que l’on s’y attarde avec précaution, comme on manipule une fleur de vanille.
Ce film porte en lui une vérité désarmante : l’amour ne se commande pas, il échappe à toute logique. Et peut-être est-ce là, au-delà du cynisme et du romantisme, que réside la magie de François Truffaut.
Et pour moi, le souvenir ineffaçable d’un tournage sur une île lointaine, où nos rêves et nos espoirs se sont mêlés, pour un instant, à la magie du cinéma.