Fragments d’errance : une toile, une vie
Ce que Van Gogh a laissé sur les murs… et dans ma mémoire !
Cette petite reproduction du tableau de Van Gogh, Les roulottes, a toujours été là, comme une constante rassurante dans les intérieurs de ma famille. À Tiaret, aux portes du Sahara, il occupait une place centrale, sur le mur ocre du salon, au milieu des tapis d’Aflou et des ombres longues projetées par le soleil. C’était comme un éclat de lumière étrangère dans le désert, un rappel de la Provence familiale qui soufflait à travers l’aridité du quotidien.
Quand nous avons déménagé à Amiens, ce tableau était toujours là, accroché dans notre froid appartement en Picardie. Son éclat semblait presque insolent face au gris du ciel et à l’austérité des briques rouges. Je le regardais souvent, m’imaginant sous ce ciel de Provence, sentant la chaleur vibrer sur ma peau, me demandant si les personnages peints par Van Gogh avaient eux aussi eu froid un jour, ailleurs.
Puis ce fut Madagascar, Tamatave. La lumière de l’océan Indien semblait s’accorder parfaitement à la chaleur qui émanait de cette peinture. Là-bas, elle trouvait une sorte d’écho, une résonance naturelle avec la vie colorée et trépidante de l’île rouge. Et plus tard encore, à La Saline-Les-Bains, à la Réunion, elle a continué à faire partie de notre décor familial, nous rappelant l’errance de nos propres vies, ces déplacements constants qui faisaient de nous des déracinés.
Mais un jour, sans que je ne sache vraiment pourquoi ni comment, ce tableau a disparu. Était-ce un déménagement où il s’est égaré ? Ou simplement un geste de renoncement à cette présence qui avait fini par nous lier davantage à nos souvenirs qu’à notre présent ?
Je me demande souvent ce qu’il est devenu. Peut-être est-il accroché quelque part, dans une maison inconnue, continuant d’évoquer pour d’autres ce calme vibrant et cette chaleur intense. Ou peut-être a-t-il rejoint un autre voyage, emportant avec lui une part de notre histoire, pour se perdre parmi d’autres errances.
Van Gogh, lui-même, devait comprendre ce genre de mystère. Il peignait les roulottes et les gitans comme on peint la précarité de l’existence, la route, et cette étrange quête de liberté qui n’a jamais vraiment de destination. Un campement éphémère sous un ciel infini. Un tableau qui, comme nous, semblait toujours en transit.