Fragments de lecture : sur les traces du Nain Noir (5)
Dans les brumes des Highlands, les apparences sont parfois trompeuses...
Enfant, j'avais cette fâcheuse habitude de me laisser happer par des mondes inconnus. Ma chambre devenait tour à tour un poste d’observation interstellaire, une cabine de navire corsaire, ou encore une lande battue par le vent et la légende.
C’est dans cet esprit d’aventurier d’intérieur que je suis tombé sur un roman qui m’a marqué plus que je ne l’aurais cru : Le Nain Noir de Walter Scott.
J’étais loin d’imaginer, en ouvrant ce livre, que j’allais plonger dans les recoins sombres et fascinants des Highlands écossais, où la lande semble elle-même vibrer au rythme des légendes et des secrets qu’elle abrite.
Tout commence dans une province reculée, sur un lieu au nom à la fois burlesque et menaçant : Mucklestane-Moor.
Ce site, paraît-il, avait jadis été hanté par une redoutable sorcière qui jetait ses malédictions sur les troupeaux. Je ne pouvais rêver meilleure introduction : des brumes mystérieuses, des malédictions, et ces croyances populaires qui donnent chair à l’impossible.
Au centre de cette lande sauvage, nous faisons la rencontre d’un personnage hors norme : Elshie, surnommé le Nain Noir.
“Plus ils en approchaient, plus il leur paraissait décroître, autant que l’obscurité leur permettait de le distinguer. Était-ce un homme ? Une créature tout droit sortie des superstitions locales ? Avec sa silhouette à peine humaine, à la fois trapue et étrangement sphérique, il suscite d’emblée méfiance et fascination…”
Elshie vit seul, retiré du monde… Et les rumeurs qui l’entourent n’ont rien pour rassurer : maléfique, néfaste, il serait porteur de mauvais sorts.
Mais comme souvent, les apparences sont trompeuses.
Ce que j’ai aimé dans ce roman, c’est justement la manière dont Walter Scott dévoile peu à peu la véritable nature de cet être mal-aimé. Car sous ses airs revêches et son discours misanthrope se cache une âme blessée, plus humaine que beaucoup de ceux qui l’entourent.
À travers Elshie, le roman pose une question essentielle :
Que doit-on aux êtres différents, à ceux que la société rejette parce qu’ils ne correspondent pas à ses normes ?
J’étais alors trop jeune pour saisir toutes les nuances, mais je me souviens avoir ressenti une profonde empathie pour ce personnage, pris dans l’engrenage des jugements et des peurs collectives.
Et puis, il y avait l’écriture.
Walter Scott savait comment tenir son lecteur en haleine. Brigands, conspirations, paysages tourmentés : les pages s’enchaînaient avec cette saveur unique des romans d’aventures, où chaque détail semblait éclairer un pan de ce monde à la fois brutal et fascinant.
Et que dire de l’ambiance ?
Cette lande écossaise, sombre et battue par le vent, devenait presque un personnage à part entière, incarnant les croyances et les peurs d’une époque.
En retrouvant aujourd’hui mon édition du Nain Noir — un volume de la collection Bleuet des éditions Vedette de Monte-Carlo, illustré par Jylbert —, je me suis surpris à replonger dans mes sensations d’antan. L’édition date de 1955, mais impossible de me rappeler le moment exact où ce livre a croisé mon chemin. Ce qui est certain, c’est qu’il a laissé une trace étonnante dans mon univers littéraire.
Le Nain Noir était mon premier Walter Scott, et sans doute l’un de ces romans qui m’ont donné le goût des histoires plus grandes que nature, où les êtres brisés ont leur revanche et où le mystère reste toujours au coin du chemin.
Une lecture d’enfance, certes, mais qui résonne encore, comme une brise venue des Highlands, chargée des murmures de la lande…
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