Fragments de lecture : "L’été grec" de Jacques Lacarrière, un voyage qui dure une vie (10)
Une escale manquée, un film interdit, un livre éternel : mes fragments de Grèce.
Décembre, ce mois où les jours raccourcissent, me ramène souvent à mes débuts d'écriture, de lectures passionnées et de découvertes fondatrices. Parmi elles, il y a ce livre, L’Été grec de Jacques Lacarrière. Un ouvrage qui, au-delà de son apparente simplicité, raconte la Grèce avec une profondeur et une liberté qui m'ont marqué à jamais. "Fragments de lecture", cette chronique que je tente de mener tout au long du mois, en est un peu le reflet.
Nous sommes en 1969. J’allais sur mes 19 ans. Alors que je rentrais à La Réunion, mon avion fait escale à Athènes. Sous la dictature des colonels, tout – même une coupe de cheveux – devenait politique. J'avais les cheveux longs, symbole anodin pour moi, mais défi pour eux. Une hôtesse de l'air, tout sourire, me conseilla de ne pas descendre. Son ton était léger, mais son conseil, impérieux. Je ne protestai pas.
C'était aussi l'année où j'ai vu Z, le film de Costa-Gavras tiré du roman de Vassilis Vassilikos. Un film qui fut interdit aux mineurs à La Réunion, révélatrice du climat politique tendu, même à des milliers de kilomètres de la métropole.
Ce film, comme cette escale manquée à Athènes, fut une porte d'entrée dans une autre Grèce. Celle des luttes, des tragédies modernes, et d’une culture profondément enracinée.
Quelques années plus tard, je rencontrais L’Été grec de Jacques Lacarrière, et ce fut un choc, un éblouissement. Ce livre, à la croisée des chemins entre récit de voyage, carnet intime et méditation philosophique, réinventa ma manière de lire et de vivre la Grèce.
Avec mes compagnons de route – Jean-Marc, Martine, Maguy, Marion – nous avons exploré le pays à la manière de Lacarrière : à travers ses mythes, ses villages, ses silences.
À cette époque, le tourisme de masse n’avait pas encore déferlé sur la Grèce. Les ferries étaient rares et les plages souvent désertes, bordées seulement par le chant des cigales. Dans les tavernes, les repas se partageaient avec les habitants, dans une simplicité qui n’existe presque plus. Voyager en Grèce, c’était encore une aventure, un cheminement personnel loin des cartes postales et des itinéraires balisés. Chaque île semblait porter un secret, chaque village racontait une histoire.
Je possédais plusieurs exemplaires de L’Été grec, dans cette magnifique collection "Terre Humaine" que je chérissais tant. J'aimais l’offrir à celles et ceux que je croisais sur mon chemin, persuadé qu’il fallait partager cet hymne à la beauté du voyage et de la réflexion. Mais un jour, mon dernier exemplaire, prêté à une relation professionnelle, ne me fut jamais rendu. Il a disparu de ma bibliothèque, laissant une place vide parmi mes étagères. Et voilà qu’aujourd’hui, en écrivant ces lignes, je ressens l’envie, presque le besoin, qu’il retrouve enfin son chemin vers ma bibliothèque.
Le livre est un hymne à la Grèce des petites routes et des grandes histoires. Lacarrière arpente la terre hellène, découvrant les dieux dans les gestes quotidiens, les tragédies antiques dans les récits des pêcheurs. Il nous montre une Grèce à la fois éternelle et contemporaine, celle d’Hésiode et de Ritsos, d’Homère et d’Elytis.
Mais c’est aussi une Grèce qui n’existe plus. En 2024, les villages se vident, les ports s’ouvrent à des touristes pressés, et les mythes semblent s’effacer devant les écrans lumineux de nos téléphones.
Pourtant, L’Été grec reste d’une actualité brûlante. Dans un monde où la mémoire vacille, Lacarrière nous rappelle que le passé est une clé pour comprendre le présent.
Sous les portiques de l’Agora, là où Hérodote contait ses voyages, je me plais à imaginer une lecture à haute voix de ce chef-d’œuvre. Une invitation à redécouvrir la Grèce, non pas comme une carte postale figée, mais comme une terre vivante, où se croisent tragédies antiques et révolutions modernes, chants byzantins et murmures d’oliviers.
Ce livre, plus qu’un récit, est une quête. Jacques Lacarrière, promeneur solitaire, cherche un "homme différent". Peut-être l’a-t-il trouvé dans les cafés de pêcheurs ou les sentiers poussiéreux.
Peut-être l’avons-nous tous trouvé, à notre manière, dans les pages de son livre.
Avec L’Été grec, il ne s'agit pas seulement de lire. Il s'agit de voyager, de rêver, de se laisser emporter par ce souffle libertaire qui traverse les siècles. Et de se rappeler, surtout, qu’il y a des livres qui marquent non seulement une époque, mais toute une vie…
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