Lorsque je plonge dans les tréfonds de mon enfance, située au cœur des années violentes de la guerre de décolonisation de l'Algérie, je m'engage dans une quête parfois désespérée pour faire remonter les souvenirs les plus lointains. Cette démarche s'opère en dépit du concept bien connu d'amnésie infantile, caractérisée par l'absence ou la relative pauvreté des souvenirs avant l'âge de deux ans, et jusqu'à l'âge de six ans, en particulier pour ce qui concerne les souvenirs que l’on nomme "autobiographiques".
Cependant, lorsque l'on explore avec une profondeur accrue les premières années de sa vie, marquées par des événements qui ont radicalement bouleversé le cours ordinaire de l'existence, des fragments de mémoire refont surface. Dans mon cas, le premier souvenir lié à la Guerre d'Algérie remonte à l'âge de presque 4 ans, après le déclenchement du conflit en novembre 1954, durant ce que les historiens ont baptisé "La Toussaint Rouge".
Je suis en train de détailler ce moment crucial de mon passé dans un chapitre de mon récit "Sirocco et Pastèque".
Ce mois de novembre 1954 devient un point d'ancrage temporel significatif, marquant ainsi le début de ma conscience avec un monde en ébullition. La "Toussaint Rouge", qui symbolise le déclenchement de la guerre d'indépendance, devient le catalyseur de mes premières perceptions de la réalité. Les premiers souvenirs s'entremêlent avec les événements historiques, créant ainsi une toile complexe de ma propre histoire intimement liée à la tragédie nationale.
À travers cette rétrospective, les souvenirs émergent comme des fragments d'espaces mémoriels, tissant un récit captivant et profondément ancré dans le contexte historique. La tension entre le devoir de se souvenir et l'énigmatique empreinte de l'amnésie infantile devient palpable. Chaque bribe de mémoire retrouvée semble être une fenêtre ouverte sur une époque révolue, offrant un éclairage unique sur les événements qui ont marqué mon enfance au milieu des tourments de la guerre.
En abordant ces souvenirs dans "Sirocco et Pastèque", je m'engage dans une exploration introspective, dévoilant non seulement les réminiscences de cette période, mais également les répercussions durables sur ma vie en tant que "premier" enfant, témoin et acteur involontaire d'une page douloureuse de l'histoire algérienne.
Ainsi, à travers ces mémoires fragmentées, se dessine le tableau complexe d'une enfance façonnée par les bouleversements historiques. Une plongée profonde dans les ruelles de ma mémoire, où chaque coin recèle une histoire prenante et souvent poignante.
En revisitant ces moments clés, je m'efforce de donner une voix à ces souvenirs, de les extraire de l'oubli et de les inscrire dans le récit plus vaste de l'histoire de l'Algérie et de ma propre existence.
La mémoire est un tissu vivant, souvent déchiré par les événements, mais c'est dans ces déchirures que se révèlent les histoires les plus profondes. (Milan Kundera)
(Photo illustration : GiselaFotografie / Pixabay)