Écrire, c'est bien plus qu'une séance solitaire devant un écran ou une page blanche. C'est un voyage dans les méandres de l'esprit, une tentative de donner vie à des fragments de souvenirs, de transformer l'ombre du passé en une narration que l’on souhaite lumineuse.
En tant qu'écrivain, je me retrouve face à un défi particulier, une dualité entre la nécessité de créer et les embûches insidieuses de mon quotidien.
Lorsque l'on occupe un poste conventionnel, les contours de la journée sont clairs, les horaires définis, les collègues présents. La routine offre une structure, un cadre rassurant. En revanche, l'écrivain navigue dans les eaux troubles de la solitude créatrice. Pas de réunions fixes, pas de collègues pour partager un café, seulement le murmure incessant des pensées qui demandent à être couchées sur le clavier de son MacBook.
La gestion du temps devient une danse délicate : il faut jongler entre les exigences du quotidien et les aspirations créatives. C'est l'art de trouver l'équilibre entre la nécessité de s'immerger dans un monde fictif et les obligations terre-à-terre qui continuent de tirer sur les manches de l'attention.
Pourtant, quand le moment idéal pour écrire se présente, l'entourage semble soudain prêt à remplir ce temps avec des demandes et des attentes. C'est une lutte contre la tentation de remettre à plus tard, contre l'inévitable intrusion du monde extérieur au moment même où les idées prennent forme.
Mon propre défi s'est intensifié alors que je m'efforce de raconter mon enfance pendant la Guerre d'Algérie. Des mois ont été consacrés à des recherches historiques, à dénicher des fragments oubliés du passé. Ma mémoire a été mon alliée et mon adversaire, exhumant des souvenirs douloureux, éclairant des coins sombres de mon histoire personnelle.
L'exercice qui consiste à se replonger dans une enfance marquée par la violence et l'exil a été plus qu'une simple narration. C'était une excavation émotionnelle, un rappel brutal de cette guerre que l’on a parfois oublié, volontairement.
La perte du pays natal, des amis, du confort de son chez-soi, des repères sensoriels qui définissent une existence. Les rues animées, les jeux sur la place, tout est devenu un écho lointain, perdu dans les limbes du temps.
Aujourd’hui, septuagénaire, j'ai réalisé que ma vie avait été inextricablement liée à cet exil précoce. Les ombres du passé continuent de planer, influençent mes choix, mes relations, façonnent la personne que je suis devenue. Écrire sur cette période tumultueuse est un acte de dévoilement, une mise à nu des cicatrices anciennes pour qu'elles puissent être comprises. Certainement pas guéries…
Dans ce processus, je dois apprendre à négocier avec la solitude de l'écrivain, avec les exigences du quotidien qui menacent de noyer les échos fragiles de mon passé. C'est une danse délicate entre la nécessité de m’isoler et le devoir envers ceux qui m’entourent.
En fin de compte, écrire sur son enfance pendant la guerre exige plus que de simples compétences littéraires. Cela nécessite une plongée profonde dans l'âme, une confrontation intense avec des souvenirs douloureux et la capacité de tisser une histoire qui transcende le temps et l'espace.
C'est un défi, mais aussi une opportunité de donner une voix à l'indicible, de guérir à travers les mots, de laisser une empreinte narrative sur les pages du temps.
“Créer, c'est vivre deux fois” (Albert Camus)
(Photo illustration : Kelly Sikkema /Unplash)