Déserts médicaux : à Saint-Gaudens, un projet pour attirer les médecins de demain
Carla Roux, du Comité de pilotage de l’association “La collégiale des généralistes Saint-Gaudinois” nous parle du projet d'une maison médicale dans la capitale commingeoise.
À Saint-Gaudens, la crise des déserts médicaux s’intensifie. La ville, bien qu’elle bénéficie encore de quelques praticiens, voit ses effectifs diminuer sous l’effet des départs à la retraite et de la pénurie de jeunes médecins prêts à s’installer. Dans ce contexte, les docteurs Cécile Platteaux, Patrice Soh et Clara Roux portent un projet ambitieux : une maison médicale moderne et inclusive. Cette structure innovante, qui serait installée dans l’ancien bâtiment de la CPAM, vise à répondre aux défis de la disponibilité des soins et à offrir des conditions de travail attractives pour attirer de nouveaux praticiens. Entre rénovation, partenariat avec les structures existantes et accueil de jeunes médecins en formation, Clara Roux nous présente, dans cet entretien, les détails de ce projet de santé essentiel pour le bassin Saint-Gaudinois.
Ces trois médecins font partie du Comité de pilotage de l’association “La collégiale des généralistes Saint-Gaudinois”
Paul Tian : Quels sont les principaux défis actuels en matière de disponibilité des médecins généralistes à Saint-Gaudens et comment votre projet vise-t-il à y répondre ?
Carla Roux : Le principal défi à Saint-Gaudens est le manque de médecins disponibles pour répondre aux besoins en santé d’une population vieillissante :
3 médecins sont partis à la retraite en 1 an ( Dr Nezent, Dr Souyri et Dr Ginabat).
Actuellement, il y a douze médecins sur Saint-Gaudens répartis dans trois cabinets différents. Quatre médecins vont bientôt partir à la retraite ( Dr Perrot, Dr Ponsole, Dr Save et Dr Lechuga) car ils ont largement dépassé l’âge de départ à la retraite, et une autre médecin n’est pas intéressée par notre projet et nous a sous-entendu que lorsque ses deux collègues partiront à la retraite, elle aurait des projets ailleurs que dans le Comminges.
Il ne restera donc que sept médecins pour tout le bassin Saint-Gaudinois, auxquels je me rajouterai après obtention de ma thèse et si le projet de maison médicale aboutit.
Aucune autre installation n’est prévue actuellement et les médecins remplaçants qui aiment venir faire des remplacements ponctuels dans le Comminges nous rapportent que rien n’est mis en place pour motiver leur installation dans la ville de Saint-Gaudens.
Notre projet de maison médicale vise à offrir un lieu attractif et moderne pour attirer de nouveaux médecins, internes et externes.
Paul Tian : Pouvez-vous nous en dire plus sur les travaux de modernisation prévus pour l'ancien bâtiment de la CPAM et comment cela améliorera-t-il les conditions de travail et de soins ?
Carla Roux : Nous avons effectivement fait une offre d’achat pour le bâtiment de la CPAM situé au 2 rue Emile Zola, mis en vente récemment. Ce bâtiment offre un espace de 1300 m² à l’intérieur, donc suffisamment de place pour aménager de nombreux bureaux ; il possède également un vaste extérieur qu’il faudra réaménager pour optimiser les places de parking, ainsi qu'une localisation idéale, à la fois proche de l’hôpital et du centre de Saint-Gaudens.
La rénovation de ce bâtiment permettra la création de nombreuses salles de consultation confortables, de salles d’attente spacieuses, d’un espace logement pour accueillir internes, docteurs juniors ou remplaçants, d’un espace indépendant dédié à la prise en charge des soins non programmés en journée (c'est-à-dire les petites urgences de médecine générale) et à l’accueil de la maison médicale de garde le soir et les week-ends (en discussion avec l’association qui gère la permanence des soins sur le Comminges).
Nous comptons également inclure un centre de soins salarié qui serait dirigé par la Communauté de Communes.
Des travaux sont donc indispensables pour repenser les lieux et créer un environnement agréable et ergonomique pour les professionnels de santé, ce qui contribuera également à la qualité des soins en améliorant l’accueil des patients.
Paul Tian : Comment le nouveau dispositif de gestion des urgences de médecine générale, incluant une salle indépendante pour les soins non programmés, impactera-t-il les patients ?
Carla Roux : Actuellement, à Saint-Gaudens, il n'existe pas de lieu dédié aux soins non programmés de médecine générale en journée. Bien souvent, les “petites urgences de médecine générale” finissent par saturer un service des urgences déjà bien encombré. Une permanence de soins est néanmoins assurée le soir après 20h et les week-ends par un médecin de garde à la maison médicale de garde.
La création d'un espace dédié aux soins non programmés en journée permettra de désengorger le service des urgences tout en allégeant le travail du médecin généraliste de garde le soir et les week-ends. Les patients bénéficieront ainsi d'une prise en charge rapide pour les problèmes médicaux imprévus, ce qui devrait également réduire les délais pour les rendez-vous programmés.
Les soins non programmés en journée seraient assurés par les médecins de la maison médicale, ainsi que par les internes et les docteurs juniors. Chacun pourrait offrir une demi-journée par semaine dans cet espace pour maintenir une permanence de jour.
Paul Tian : Quelles collaborations spécifiques avec d'autres structures médicales et paramédicales sont envisagées et quels avantages cela apportera-t-il aux Saint-Gaudinois ?
Carla Roux : Nous envisageons d’inclure des infirmier(e)s en pratique avancée (IPA) et des infirmier(e)s asalé(e)s, qui sont très utiles pour la pratique de la médecine de ville.
Pour le moment, nous ne prévoyons pas d’inclure d’autres spécialités paramédicales, car ce lieu a pour objectif principal de favoriser l’installation de médecins généralistes en libérant des espaces adaptés.
Bien entendu, si un médecin spécialiste est intéressé par l’un de nos bureaux disponibles, nous l’accueillerons avec plaisir, car les spécialistes deviennent également de plus en plus rares dans le Comminges.
Paul Tian : Que sont les "médecins juniors" ?
Carla Roux : Les docteurs juniors sont des internes de 4e année de médecine générale, ayant déjà soutenu leur thèse, qui exercent en quasi-autonomie mais restent sous la responsabilité de la faculté et d’un maître de stage.
Depuis la rentrée 2023, la formation des nouveaux internes en médecine générale s’étend désormais sur 4 ans (contre 3 ans auparavant), et la thèse doit être soutenue avant la fin de l’internat, alors qu’auparavant elle pouvait être passée jusqu’à 3 ans après.
Cette 4e année, appelée “année de consolidation”, permet aux jeunes médecins de s’immerger plus profondément dans la pratique professionnelle en devenant presque totalement autonomes.
En pratique, ces docteurs juniors ont les mêmes responsabilités que n’importe quel médecin généraliste, mais sont sous-payés et toujours encadrés par un maître de stage, généralement situé dans une zone médicalement sous-dotée.
Accueillir ces docteurs juniors en milieu rural présente plusieurs avantages pour les structures d'accueil : ils apportent un soutien médical immédiat, allégeant la charge des médecins en place, tout en se formant aux spécificités de la médecine de proximité.
Par ailleurs, cette expérience de terrain les sensibilise aux réalités des zones en tension et peut susciter un intérêt pour une installation future dans des régions où les besoins sont importants, contribuant ainsi à la lutte contre les déserts médicaux.
Paul Tian : Comment prévoyez-vous de les intégrer dans ce projet de maison médicale et quelles mesures seront mises en place pour les accompagner et les former efficacement ?
Clara Roux : Pour le moment à Saint-Gaudens, seuls trois médecins sont maîtres de stage (et un va bientôt partir à la retraite) et habilités à accueillir des internes. Ils reçoivent déjà des internes de 1re, 2e et 3e années, et l'organisation pour leur trouver des bureaux disponibles pour les consultations est déjà complexe.
Les cabinets actuels ne disposent pas de suffisamment d’espace pour accueillir des internes de 4e année ou docteurs juniors.
Il est donc urgent que notre projet de maison médicale aboutisse pour pouvoir accueillir ces docteurs juniors qui arrivent dans 2 ans !
Il est essentiel de pouvoir les accueillir, de ne pas passer à côté de cette formidable opportunité de potentielle installation future. Cependant, il est également nécessaire de trouver d’autres médecins prêts à devenir maîtres de stage, afin de les accompagner et de les former efficacement dans un environnement favorable et avec des conditions de travail optimales.
Pour ma part, j'envisage de suivre la formation pour devenir maître de stage, mais une règle de la faculté m’impose d’attendre quelques années après la fin de mon internat avant de pouvoir accéder à ce statut.
Dans notre maison médicale, nous prévoyons des bureaux dédiés pour les internes et docteurs juniors, et ils pourront également participer activement aux soins non programmés en journée.
Paul Tian : Il y a déjà une maison de santé à Saint-Gaudens, il me semble. Pourquoi ne pas vous regrouper avec cette structure ?
Carla Roux : Cette maison de santé pluridisciplinaire (MSP) existe bien au centre de Saint-Gaudens, mais elle prend en charge uniquement les patients sans médecin traitant et ne fait que des soins programmés (sur rendez-vous). Quelques médecins de Saint-Gaudens se relaient par demi-journée dans cette MSP pour consulter ces patients (au lieu d’être dans leur propre cabinet), mais les délais d’attente s'allongent en raison des récents départs à la retraite, et l'agressivité envers le personnel s'intensifie ces derniers temps.
De plus, un des inconvénients majeurs de cette MSP est sa taille très réduite : elle ne dispose que de trois bureaux et est située dans un immeuble en plein centre-ville, rendant le stationnement difficile pour les patients.
Cette MSP pourrait être intégrée à notre maison médicale. En effet, les patients sans médecin traitant pourraient être répartis parmi les différents médecins de la maison médicale, dans l’espoir d’accueillir de nouvelles installations de médecins généralistes. Ils pourraient également être pris en charge par des docteurs juniors se relayant pour ces consultations, ou, par le centre de santé salarié géré par la Communauté de Communes (Com’com) avec lequel nous comptons collaborer.
Les anciens locaux de la CPAM de Saint-Gaudens :