Derrière la légende : les atrocités oubliées de l'Algérie coloniale
Comment la violence brutale de la conquête de l'Algérie a été occultée par la propagande et les représentations artistiques, créant une mémoire collective biaisée.
Entre 1830 et 1870, la conquête de l'Algérie par la France s'est déroulée sous le signe d'une violence systématique et d'une répression brutale, marquant profondément l'histoire des deux pays. Cette période a été dominée par des figures militaires comme le maréchal Bugeaud, dont le nom est devenu synonyme de terreur pour les populations locales.
Son approche de la guerre, axée sur l'extermination et la destruction, a laissé une empreinte indélébile, au point que, des décennies plus tard, son nom était encore utilisé pour effrayer les enfants algériens.
Les soldats français, pour la plupart des paysans enrôlés de force, ont découvert en Algérie un monde hostile et insoutenable.
Alexis de Tocqueville, observateur lucide de cette époque, a noté l'incapacité de ces hommes à supporter les rigueurs du climat et la violence du conflit, ce qui les conduisait souvent à la folie, voire au suicide.
Les méthodes employées par Bugeaud et ses successeurs, comme Lamoricière, ont contribué à alimenter les révoltes violentes qui ont secoué la colonie. La résistance algérienne, menée par des leaders comme l'émir Abdelkader, a puisé sa force dans la haine contre l'envahisseur, un sentiment qui échappait aux militaires et aux autorités françaises.
Alexis de Tocqueville, bien qu'adepte de la colonisation, a reconnu les effets dévastateurs de cette confrontation, affirmant que l'Algérie, désormais insérée dans le mouvement du monde civilisé, ne pourrait plus en sortir. Cependant, cette résistance a été brutalement réprimée par des actions militaires d'une extrême violence, telles que les razzias systématiques, où villages et cultures étaient détruits, femmes violées, et populations massacrées.
L'affaire des enfumages des grottes du Dahra en 1845, où le colonel Pélissier a fait périr des centaines de personnes en les asphyxiant, a provoqué un scandale en métropole, bien que les autorités aient souvent cherché à couvrir ces exactions.
Malgré la brutalité de ces opérations, une propagande coloniale intense a tenté de masquer ces réalités, notamment à travers les œuvres d'artistes comme Horace Vernet.
Commandité pour célébrer la gloire de la conquête, Horace Vernet s'est concentré sur les aspects héroïques et glorieux des batailles, occultant volontairement les massacres et les souffrances des populations locales.
Cette censure artistique, dictée par le pouvoir en place, visait à légitimer la colonisation et à maintenir le prestige de l'armée d'Afrique.
Pourtant, Horace Vernet n'était pas indifférent à la réalité. Son œuvre reflète un décalage entre ses expériences personnelles de la guerre et les exigences de ses commanditaires, qui souhaitaient ériger une légende héroïque autour de la conquête.
Dans ses correspondances, Horace Vernet exprime son soutien aux officiers les plus controversés, comme Pélissier, tout en essayant de préserver son indépendance artistique. Cependant, en ne représentant pas les aspects les plus sombres de la conquête, il a contribué à construire une mémoire collective biaisée, qui glorifiait l'expansion coloniale tout en occultant ses horreurs.
Cette période de l'histoire algérienne illustre comment la violence coloniale a été à la fois exercée sur le terrain et dissimulée dans les représentations culturelles.
Ainsi, la conquête de l'Algérie, menée avec une brutalité implacable et soutenue par une propagande habilement manipulée, a inscrit dans l'histoire une cicatrice profonde, forgeant des mémoires irréconciliables de part et d'autre de la Méditerranée.
(Photo illustration : Les Grottes du Dahra, eau forte de Tony Johannot / Wilipedia)
À Orléansville, le 11 juin 1844, à la suite de la première enfumade, le général Bugeaud, commandant en chef, conseille ceci à ses subordonnés pour réduire les partisans de l'émir Abd El Kader peuplant la région du Chélif : “Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas ! Enfumez-les à outrance comme des renards.” (Wikipedia)
(Portrait de l’émir Abdelkader par Jean-Baptiste-Ange Tissier, en 1852)