Bienvenue en enfer : quand l’info locale devient une machine à angoisse
Braquages, drames lointains, morts spectaculaires : les journaux locaux ne parlent plus de nous, mais de ce qui fait peur. Et si on reparlait un peu de la vie réelle ?
Meurtres sordides, drames exotiques, faits divers spectaculaires : l'information locale semble avoir été remplacée par un fil d'angoisse permanent. Derrière cette dérive éditoriale, une logique économique redoutable – mais aussi un désintérêt croissant pour les réalités concrètes des territoires. Il est temps de se demander : à quoi sert encore la presse régionale ?
Mardi, 16 h. Bienvenue en enfer
Il fut un temps – pas si lointain – où ouvrir le journal régional, c’était s’informer sur son environnement immédiat : les vendanges, l’aménagement de la place du marché, les résultats du club de rugby, une interview du maire sur le plan local d’urbanisme.
Aujourd’hui, avec le format numérique de la PQR (presse quotidienne régionale), la routine est tout autre.
En quelques secondes de navigation, vous voilà submergé par un déluge de catastrophes soigneusement choisies : un policier grièvement blessé sur l’autoroute, une famille décimée dans un incendie, un homme qui jette sa compagne aux piranhas après l’avoir étranglée, et même – comble du sensationnel – une octogénaire héroïque qui supplie des braqueurs de l’abattre à la place de son mari.
Entre deux scrolls, on frôle la nausée.
L’économie de la peur
Cette avalanche de faits divers n’est pas le fruit du hasard. C’est le résultat d’une mutation profonde des rédactions locales, passées en quelques années du rôle de relais de proximité à celui de distributeurs d’adrénaline émotionnelle.
L’information qui concerne nos territoires ? Jugée trop molle, trop peu virale, trop peu "bankable".
Pourquoi parler de la réfection d’une route départementale quand on peut détailler les circonstances d’un accident macabre à 2 000 kilomètres ? Pourquoi évoquer les budgets communaux quand un touriste français meurt dans un golf thaïlandais ?
Le fait divers "vendeur" répond aux logiques numériques : il génère des clics, des partages, de la réaction. Il flatte l’algorithme, et rapporte de la visibilité — donc de la publicité.
Mais ce journalisme-là ne coûte pas cher : il repose souvent sur la simple reprise de dépêches d’agence. Pas besoin d’envoyer un journaliste couvrir un conseil municipal ou enquêter sur les marchés publics.
Le copier-coller morbide est plus rentable.
Quand le drame lointain efface le réel
Ce phénomène n’est pas anodin. Il façonne notre perception du monde. À force de se voir abreuvé d’images de violence, de récits de meurtres ou d’accidents improbables, le lecteur développe une vision biaisée de la réalité. Ce que les sociologues appellent le "syndrome du grand méchant monde" : une sensation que le danger est partout, que la société est en train de s’effondrer, même si les statistiques disent le contraire.
Pire encore : pendant qu’on nous parle de morts aux Philippines ou de chiens tueurs à Naples, l’information utile, celle qui éclaire la vie démocratique locale, s’évapore.
Qui nous parle encore des décisions de la communauté de communes, de la situation de l’hôpital local, des projets d’écoles, des luttes associatives ? Qui enquête sur les conflits d’intérêts municipaux ? Sur les logements insalubres ? Sur l’inaction environnementale à l’échelle de notre canton ?
Cette disparition n’est pas sans conséquences : elle affaiblit la citoyenneté locale. Elle nous déconnecte de notre territoire, de ses enjeux concrets, de ses débats démocratiques. Elle transforme l’habitant en spectateur impuissant d’un monde lointain et violent.
Et maintenant, on fait quoi ?
Heureusement, cette dérive suscite une forme de résistance. Dans les commentaires en ligne, sur les réseaux sociaux, dans les cercles militants, une question revient :
Où est passée l’info locale ?
Certains lecteurs désertent les sites anxiogènes, d’autres se tournent vers des newsletters indépendantes, des blogs citoyens, ou des collectifs d’enquête locale.
Car il existe une autre voie : un journalisme de proximité, certes moins spectaculaire, mais infiniment plus utile. Un journalisme qui parle de la médiathèque plutôt que du meurtre exotique. Qui suit les élus à la trace plutôt que les faits divers internationaux. Qui donne la parole aux gens du coin plutôt qu’aux monstres du monde.
Ce journalisme-là ne fait peut-être pas exploser les compteurs de clics. Mais il construit quelque chose : du lien social, de la compréhension collective, et peut-être même… un peu d’espoir.
Veuillez corrigeron nom : BRUNET
Je veux bien connaître le prix de l’abonnement payant avant de prendre ma décision ?